De Frédéric Savoye et Wolimité Sié Palenfo
Burkina Faso - France, DVCam, 2002, 90mn.
SYNOPSIS
Mémoire entre deux rives suit les traces de la colonisation française du Pays Lobi. Dans cette région, située au sud-ouest du Burkina Faso, il n’est pas un village, pas une famille qui ne se souvienne… Confrontée aux documents d’archives des administrateurs, la tradition orale permet de remonter près d’un siècle d’histoire, depuis l’arrivée des premiers blancs jusqu’à nos jours. Cette parole témoigne également des conséquences individuelles, sociales ou religieuses de cette histoire douloureuse. Du passé au présent, de la parole vivante aux écrits des administrateurs coloniaux, Mémoire entre deux rives est autant une quête sur l’identité Lobi qu’une réflexion sur la " France Civilisatrice ".
A PROPOS DU FILM
Réalisateur
D’une rive…
Mon premier voyage au pays Lobi , dans le sud-ouest du Burkina Faso, remonte à 1990. J’ignorais tout des Lobi excepté leur réputation guerrière, leur esprit rebelle envers toute forme d’autorité. Les autres ethnies les appellent les " indiens du Burkina Faso ". Animé par l’illusion de découvrir une société " primitive ", préservée de l’influence des Blancs, j’avais pour seuls bagages tous les stéréotypes propres à ma culture.
Dès ma première incursion en brousse dans un village Lobi, je me retrouvais nez à nez avec mes " ancêtres " les colons représentés par des statues en terre. Disposées dans la cour d’une maison traditionnelle Lobi aux allures de forteresse, elles semblaient monter la garde. Youl Boulnaré, le chef de famille, m’en donna l’origine : " Un jour, mon père a vu sur la colline des militaires blancs. Il est allé consulter. Le féticheur lui a expliqué que le Blanc, c’est un type de fétiche qui veut venir en lui. C’est pourquoi mon père les a représentés ".
A mon retour en France, je voulu en savoir davantage. Comment dans cette région le Blanc est-il devenu fétiche, après avoir été si longtemps et si âprement combattu ? La lecture des ouvrages se rapportant au pays Lobi, et la rencontre avec leurs auteurs, ne m’apporta pas toute la lumière escomptée. Néanmoins, j’ai pu m’appuyer sur le remarquable travail de Jeanne-Marie Kambou-Ferrand, la seule parmi ces chercheurs à s’intéresser à l’histoire du pays Lobi et à être originaire de cette région. De mère Lobi, son père était administrateur colonial…
Je suis retourné au pays Lobi à plusieurs reprises, durant de longs séjours, afin de m’immerger dans cette culture. C’est en partageant la vie quotidienne des paysans rythmée par le travail aux champs, les fêtes rituelles, les naissances, la maladie, parfois la mort, que les liens se sont tissés et les langues dénouées. Je suis devenu un peu Lobi par adoption… Au fil du temps, j’ai pu expérimenter la perception que les Lobi ont des Blancs. Elle est indissociable d’une Histoire qui nous est commune : la colonisation. A l’écoute des " vieux " relatant le temps de la force (la période coloniale), j’ai appris à mieux connaître non seulement l’histoire des Lobi, mais également la mienne. A travers ce film, mon souhait était de faire entendre cette parole avant qu’elle ne soit définitivement tue et enterrée.
Le temps efface les preuves matérielles de l’époque coloniale. Les " vieux ", dépositaires de cette mémoire, disparaissent sans laisser de trace. Les nouvelles générations se détournent d’une histoire qui contrarie l’idée qu’ils se font de l’Occident. La France ne se souvient que de ceux qui ont combattu dans ses rangs en remettant un peu d’argent à l’association des anciens combattants. L’Etat burkinabè a depuis longtemps oublié cette région : il y envoie les fonctionnaires indésirables en guise de punition.
Néanmoins les empreintes du passé résistent. Elles émergent à la surface d’un monde écartelé entre tradition et modernité, dans un " entre-deux " où la mémoire d’un peuple, et peut-être son avenir, menace de s’abîmer.
Mémoire entre deux rives est le fruit d’une collaboration qui dure depuis plus de sept ans entre un Français et un Lobi. Comme tout étranger, j’ai d’abord fait appel aux services d’un interprète : Wolimité. Par son investissement personnel, sa connaissance, la nature même du sujet, et notre amitié, il m’est apparu tout naturel, suite à un premier film fait ensemble sur la culture Lobi, Bois Parlants, de l’associer à l’écriture et à la réalisation de ce film. Frédéric Savoye
Réalisateur
… à l’autre
Mon père m’en veut. Il m’en veut parce que je suis allé à l’école du blanc.
Il disait " J’ai peur de vous qui savez parler la langue du blanc. J’ai peur de cette langue. Elle est trompeuse. Elle tue. " Il ne comprenait pas pourquoi je ne partageais pas son avis. Pour lui, j’étais un homme perdu. Je n’étais plus un lobi. En conséquence, il me cachait certaines coutumes Lobi. J’en ai souffert. Devais-je rester à l’écart de ma propre culture et demeurer incompris par mon père ? Alors un jour je lui ai dit : " Papa, on pardonne le blanc, mais on oublie pas ". Il m’a répondu par un silence, les yeux pleins de défiance. Si aujourd’hui je ne suis pas compris, il m’appartient de mettre tout en œuvre pour l’être demain.
Des années plus tard, " Mémoire entre deux rives " est né. C’est une réponse à mon père, qui n’est malheureusement plus de ce monde, et une contribution à l’émergence d’une histoire lobi vue par les Lobi.
La guerre farouche qui a opposé les colons aux autochtones dans cette région a engendré jusqu’à aujourd’hui une grande méfiance des Lobi vis à vis des blancs. Ma collaboration avec Frédéric Savoye a permis de surmonter cet obstacle, de délier les langues en instaurant un rapport de confiance avec nos interlocuteurs. Notre premier film - Bois Parlants réalisé en 1997 - a été l’occasion de mettre en place une méthode de travail qui tire profit de notre complémentarité. Son sujet - le trafic de statues en pays lobi - nous a familiarisé avec la difficulté de faire témoigner les gens, surtout en présence d’une caméra. La même réticence est apparue avec Mémoire entre deux rives, mais sa source en est totalement différente.
La colonisation a laissé de profondes empreintes. L’existence encore effective aujourd’hui du serment des Deux Bouches en est une preuve. Il en est d’autres que nous avons voulu faire émerger, soit de l’oubli, soit du non dit. C’est en sillonnant les villages, à la rencontre des anciens, mais aussi des enfants, que nous avons ouvert le champ de nos investigations.
Le témoignage ne s’arrête pas à la parole : outre les chants et les contes, la sculpture apporte un précieux éclairage sur cette période. En tant que sculpteur, j’ai souhaité privilégier cette piste. La sculpture au pays lobi joue activement en faveur de notre culture : elle constitue un lien direct avec les ancêtres. A ce titre, elle nous relie avec la mémoire de ceux qui ont combattus les colons. Mémoire entre deux rives entend faire écouter ces " bois parlants ", par l’entremise des sculpteurs ou des adorateurs.
Enfin, je dois insister sur l’importance de ce film dans la région du lobi. Entre ceux qui se réfugient dans l’oubli, ceux qui idéalisent la résistance face au colon, ou encore ceux qui rejettent cet héritage se joue en partie l’avenir de notre culture. " Pour savoir où tu vas, il faut connaître d’où tu viens ". Cette question qui prend sa source dans la période coloniale ne s’arrête pas au seul pays lobi. Elle concerne aussi bien l’Afrique toute entière et les anciens pays colonisateurs, de chaque côté des deux rives.
Mais au fait, la colonisation s’arrête-t-elle au premier jour de l’indépendance de la Haute Volta ?
Wolimité Sié Palenfo
CRITIQUES DE PRESSE
Voici un film très documenté : photos, témoignages et textes à l’appui. On y découvre, ahuris et presque incrédules, par quels moyens barbares les français ont tenté d’anéantir, efficacement, les résistances du peuple Lobi face à l’invasion coloniale.
C’est une tranche douloureuse de l’histoire mise en exergue et racontée par les vieux Lobis, analysée par des plus jeunes. Ce documentaire bien monté rassemble ces témoignages poignants. Pourquoi tant d’acharnement sur ce peuple qui s’est toujours distingué par son individualisme, par sa forte identité et sa détermination à lutter contre toute agression, oppression ou domination.
Ce film a le mérite de nourrir une réflexion sur l’identité du peuple Lobi avant et après la décolonisation.
Benoît Tiprez
Clap Noir
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Frédéric Savoye et Wolimité Sié Palenfo
Image : Sylvain Grolleau
Son : Constantin Da
Montage : Frédéric Savoye
DVCam, 2002, 90mns
Produit par : Thomas Schmitt/Mosaïque Films
Coproduction : Cityzen TV & Mosaïque Films
Contact : mosaique.films chez noos.fr
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France