Juin 2009. Osvalde Lewat arrive à Sdérot invitée par le Festival des Films du Sud pour présenter son film, Une Affaire de Nègres . Sderot, ville israélienne située dans le désert du Neguev et surtout, à un jet de roquette de Gaza : deux kilomètres, seulement, séparent ces deux villes. Le Sappir Collège, compte une section cinéma créée par Avner Faingulernt et Osvalde Lewat découvre d’un coup le festival, ses organisateurs et la situation très particulière de l’école et de ses étudiants.
© Amip - Waza films - Néon Rouge Production 2011
De son premier séjour à Sdérot, des discussions avec Avner et Erez le directeur artistique de l’école, et de ses questions soulevées par les élèves de Sappir, la réalisatrice fera un film. Elle reviendra avec son équipe et étanchera sa curiosité : que fait là cette école ? Pourquoi elle y a été crée ? Par qui ? Pour qui ? Que représente-t-elle ? Et qu’en attendre ?
Avner se promène dans la campagne avec son chien :« J’ai suivi mon cœur. J’étais dans un kibboutz brésilien, j’ai eu envie de revenir à la maison. ». Il dit aussi son besoin de faire des films comme un peintre peint. C’est alors qu’il crée la section cinéma au Sappir Collège et qu’il mêle élèves et professeurs venus de tous horizons.
Un laboratoire directement influencé dans ses choix artistiques par la proximité d’ une zone de guerre. Pour Erez, professeur de cinéma : « Faire du cinéma dans ce contexte pose une question morale. Que dois-je faire ? Soulager la douleur des gens ? Ou bien leur faire ressentir cette douleur afin, qu’à travers la représentation de cette douleur et de la société, ils réfléchissent ? »
La forme documentaire tient une place prépondérante dans l’école, où on encourage les élèves à remettre en question la pensée officielle, à porter un regard critique sur la société. La réalisatrice et son équipe assistent aux cours, enregistrent les discussions.
Une professeur analyse le symbole du sacrifice d’Isaac : « C’est le symbole majeur de la culture israélienne. Dans un contexte laïque, l’état remplace Dieu, et on arrive au sacrifice du fils pour la patrie afin d’empêcher un nouvel holocauste. Mais quand l’armée devient une armée d’attaque ? »
Erez à ses élèves : « Il y a politisation de la vie : en 1939, le plus grand film fut Autant en Emporte le Vent, aujourd’hui, c’est Avatar. Quand j’ai vu ce film, j’ai pleuré. Que montrer au public après cette magie narcotique ? »
Pourtant seulement quinze pour cent des films faits à Sappir, abordent les problèmes politiques, les autres concernent du cinéma de divertissement et sont très recherchés. Les deux dirigeants de l’école, traités de radicaux de gauche arabophiles, accusés de sympathie avec le Hamas, reconnaissent combattre les moulins à vent, poursuivre l’utopie d’un Israël différent.
A l’instar de Deleuze, ils prônent l’imprégnation des images sur le cortex, se battent pour faire connaître des deux côtés des barbelés le cinéma des autres. Sujets aux pressions provenant du Ministère de l’Éducation, des députés, et de l’armée pour licencier les maîtres de conférence hors du politiquement correct, jusqu’à quand tiendront-ils ?
« J’ai un ami cinéaste palestinien, rêve le doux Avner,, qui me dit que ce que nous faisons , c’est pour son fils Shaï et mon fils Youssef ».
Une découverte ! Un silence absolu accompagne la projection. Les dernières paroles d’Avner résonnent longtemps. Impossible, désormais d’entendre des nouvelles de la bande de Gaza, sans penser à ceux de Sapir.
© Amip - Waza films - Néon Rouge Production 2011
Avec peu de moyens, Osvalde Lewat que l’on n’attendait pas dans ce coin de la planète, donne, à travers ce formidable documentaire, une démonstration de sa pugnacité. En douceur, elle capte le bouillonnement politique qui agite têtes et cœurs de ceux qui consciemment ou non, ont abouti dans cette école. Sa venue à Sapir n’est pas le fruit du hasard. Elle y retrouve du bois pour son feu, des pierres à rajouter à ce questionnement universel, qu’elle est venue partager dans ce douloureux désert : que peut l’art face à la guerre ? Gabriel Celaya, poète espagnol chanté par Paco Ibanez, l’annonçait le poing levé : « La poésie est une arme chargée de futur ». Même combat pour la caméra, qu’elle soit de Sdérot ou d’Osvalde Lewat.
Michèle Solle
5 février 2010
Clap Noir
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