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Que peut l’art face à la guerre ?
Publié le : dimanche 12 février 2012
Sderot, Last Exit


Juin 2009. Osvalde Lewat arrive à Sdérot invi­tée par le Festival des Films du Sud pour pré­sen­ter son film, Une Affaire de Nègres . Sderot, ville israé­lienne située dans le désert du Neguev et sur­tout, à un jet de roquette de Gaza : deux kilo­mè­tres, seu­le­ment, sépa­rent ces deux villes. Le Sappir Collège, compte une sec­tion cinéma créée par Avner Faingulernt et Osvalde Lewat décou­vre d’un coup le fes­ti­val, ses orga­ni­sa­teurs et la situa­tion très par­ti­cu­lière de l’école et de ses étudiants.

© Amip - Waza films - Néon Rouge Production 2011

De son pre­mier séjour à Sdérot, des dis­cus­sions avec Avner et Erez le direc­teur artis­ti­que de l’école, et de ses ques­tions sou­le­vées par les élèves de Sappir, la réa­li­sa­trice fera un film. Elle revien­dra avec son équipe et étanchera sa curio­sité : que fait là cette école ? Pourquoi elle y a été crée ? Par qui ? Pour qui ? Que repré­sente-t-elle ? Et qu’en atten­dre ?

Avner se pro­mène dans la cam­pa­gne avec son chien :« J’ai suivi mon cœur. J’étais dans un kib­boutz bré­si­lien, j’ai eu envie de reve­nir à la maison. ». Il dit aussi son besoin de faire des films comme un pein­tre peint. C’est alors qu’il crée la sec­tion cinéma au Sappir Collège et qu’il mêle élèves et pro­fes­seurs venus de tous hori­zons.
Un labo­ra­toire direc­te­ment influencé dans ses choix artis­ti­ques par la proxi­mité d’ une zone de guerre. Pour Erez, pro­fes­seur de cinéma : « Faire du cinéma dans ce contexte pose une ques­tion morale. Que dois-je faire ? Soulager la dou­leur des gens ? Ou bien leur faire res­sen­tir cette dou­leur afin, qu’à tra­vers la repré­sen­ta­tion de cette dou­leur et de la société, ils réflé­chis­sent ? »

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La forme docu­men­taire tient une place pré­pon­dé­rante dans l’école, où on encou­rage les élèves à remet­tre en ques­tion la pensée offi­cielle, à porter un regard cri­ti­que sur la société. La réa­li­sa­trice et son équipe assis­tent aux cours, enre­gis­trent les dis­cus­sions.
Une pro­fes­seur ana­lyse le sym­bole du sacri­fice d’Isaac : « C’est le sym­bole majeur de la culture israé­lienne. Dans un contexte laïque, l’état rem­place Dieu, et on arrive au sacri­fice du fils pour la patrie afin d’empê­cher un nouvel holo­causte. Mais quand l’armée devient une armée d’atta­que ? »
Erez à ses élèves : « Il y a poli­ti­sa­tion de la vie : en 1939, le plus grand film fut Autant en Emporte le Vent, aujourd’hui, c’est Avatar. Quand j’ai vu ce film, j’ai pleuré. Que mon­trer au public après cette magie nar­co­ti­que ? » Pourtant seu­le­ment quinze pour cent des films faits à Sappir, abor­dent les pro­blè­mes poli­ti­ques, les autres concer­nent du cinéma de diver­tis­se­ment et sont très recher­chés. Les deux diri­geants de l’école, trai­tés de radi­caux de gauche ara­bo­phi­les, accu­sés de sym­pa­thie avec le Hamas, reconnais­sent com­bat­tre les mou­lins à vent, pour­sui­vre l’utopie d’un Israël dif­fé­rent.
A l’instar de Deleuze, ils prô­nent l’impré­gna­tion des images sur le cortex, se bat­tent pour faire connaî­tre des deux côtés des bar­be­lés le cinéma des autres. Sujets aux pres­sions pro­ve­nant du Ministère de l’Éducation, des dépu­tés, et de l’armée pour licen­cier les maî­tres de confé­rence hors du poli­ti­que­ment cor­rect, jusqu’à quand tien­dront-ils ?
« J’ai un ami cinéaste pales­ti­nien, rêve le doux Avner,, qui me dit que ce que nous fai­sons , c’est pour son fils Shaï et mon fils Youssef ».
Une décou­verte ! Un silence absolu accom­pa­gne la pro­jec­tion. Les der­niè­res paro­les d’Avner réson­nent long­temps. Impossible, désor­mais d’enten­dre des nou­vel­les de la bande de Gaza, sans penser à ceux de Sapir.

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© Amip - Waza films - Néon Rouge Production 2011

Avec peu de moyens, Osvalde Lewat que l’on n’atten­dait pas dans ce coin de la pla­nète, donne, à tra­vers ce for­mi­da­ble docu­men­taire, une démons­tra­tion de sa pug­na­cité. En dou­ceur, elle capte le bouillon­ne­ment poli­ti­que qui agite têtes et cœurs de ceux qui cons­ciem­ment ou non, ont abouti dans cette école. Sa venue à Sapir n’est pas le fruit du hasard. Elle y retrouve du bois pour son feu, des pier­res à rajou­ter à ce ques­tion­ne­ment uni­ver­sel, qu’elle est venue par­ta­ger dans ce dou­lou­reux désert : que peut l’art face à la guerre ? Gabriel Celaya, poète espa­gnol chanté par Paco Ibanez, l’annon­çait le poing levé : « La poésie est une arme char­gée de futur ». Même combat pour la caméra, qu’elle soit de Sdérot ou d’Osvalde Lewat.

Michèle Solle
5 février 2010

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