Africa, Africadoc
D’aucuns peuvent reprocher à la sélection Afrique de Lussas cette année d’être un peu la vitrine d’Africadoc, c’est à dire de montrer surtout des documentaires conçus dans ce cadre par des jeunes réalisateurs formés avec ces outils intellectuels et techniques. C’est le cas de Alassane Diago, qui signe son deuxième documentaire au nord du Sénégal, auprès des femmes d’un village Hal puular avec La vie n’est pas immobile : y émerge un magnifique portrait de femme, debout ; c’est aussi le cas de Hamou-Béya, pêcheurs de sable, de Samouté Andrey Diarra, qui dresse un vivant portrait ethnographique de la communauté bozo, au Mali, sur les bords du fleuve Niger, avec quelques très belles scènes de cinéma direct ; c’est encore le cas de Ndeye Souna Dieye avec Le goût du sel, qui montre également – très intelligemment - la relation de travail et la division du travail entre hommes et femmes (pour ne pas parler d’exploitation !), dans un salin de la région de Saint Louis.
Ethnographique, Gentille M.Assih l’est également avec son deuxième documentaire, Le rite, la folle et moi où, après avoir décrit les rites de passage à l’âge adulte chez les hommes (Itchombi), la réalisatrice issue d’Africadoc décrit l’initiation au féminin, dans l’arrière-pays togolais. Mais Gentille M.Assih n’est pas que gentille ! Elle transcende puissamment l’approche ethnographique, en utilisant le rituel, ainsi que la caméra ethnographique, pour faire un travail familial magistral et bouleversant. En abordant son père, porteur d’un douloureux secret de famille, à l’occasion de l’intronisation de sa petite sœur comme femme, Gentille rejette la transmission trangénérationnelle de la douleur, fait la paix avec ses ancêtres, libère son père en lui pardonnant, dans un geste d’amour magnifique. Très réussi et formellement maîtrisé, le film vaut bien quinze ans de psychanalyse.
Premier film également, labelisé Africadoc, premier bébé d’un couple de cinéastes franco-togolais, Penda Houzangbe et Jean-Gabriel Tregoat, Atlantic produce Togo s.a., parti d’une initiative indépendante, est un film de pur cinéma direct décrivant un conflit social en Afrique qui peut également entrer dans cette catégorie, fort prometteuse au demeurant (voir la rencontre avec les réalisateurs). Espoir-voyage, de Michel K.Zongo (vu au Cinéma du réel), est un documentaire sans doute plus personnel et abouti, dans la forme et dans le fond, que ceux cités plus haut et il est vrai que le réalisateur burkinabé, tout mâtiné de l’expérience et de l’apport structurel et artistique d’Africadoc, fait désormais partie d’une véritable génération de cinéastes qui n’a plus besoin aujourd’hui de se réclamer d’une quelconque allégeance, qu’elle soit nationale, continentale, de « réseau » ou de parti-pris : un auteur.
Absences : celle des anciens, et trop peu de cinéastes africains voyagent en France pour accompagner leurs films
On peut donc regretter que la présence africaine à Lussas semble passer par le prisme d’Africadoc. Hélas, Samba Félix Ndiaye nous a quitté il y a 2 ans. Les grands réalisateurs de documentaire africains ne parviennent pas à produire un film par an, qu’il s’agisse d’Idrissou Mora Kpai, de Jean-Marie Teno, ou encore de Khady Sylla ou Moussa Touré, pour citer les plus brillants. On se contentera donc cette année du regard frais - et néanmoins vif - de jeunes cinéastes, en s’interrogeant toujours sur la possibilité pour eux de consolider un premier essai, de construire une œuvre de pouvoir faire « de leur vice un métier ».... La dimension formation, accompagnement, dénichage de talents est devenue centrale à Lussas.
Quoi qu’il en soit, le public est toujours heureux de découvrir des images de l’Afrique et de voir le regard de jeunes cinéastes africains porté sur leur propre univers. On peut regretter également que cette année, comme l’a annoncé Jean-Marie Barbe, directeur du festival, responsable de la programmation Afrique et fondateur d’Africadoc, aucun réalisateur du Sud ne soit présent pour accompagner son film et aller à la rencontre du fidèle public ardéchois. L’an dernier, les cinéastes africains n’avaient pas pu obtenir un visa pour venir à Lussas. Cette année, ce sont carrément les tutelles qui finançaient habituellement leur venue en France qui n’ont pas voulu payer les billets d’avion.
Les raisins de la colère : le personnage du Clandestin
Lussas se fait la caisse de résonance, cette année encore, de l’un des drames les plus préoccupants de la relation nord-sud, l’émigration clandestine. C’est comme une lame de fond qui traverse la programmation du festival, qu’il s’agisse de la sélection Afrique ou encore de sélection transversales comme Expériences du Regard, dont les programmateurs, Pierre-Yves Vandeweerd et Philippe Boucq, expliquent que de très nombreux films leur ont été envoyés sur ce thème, ce qui explique sa présence fortement marquée dans la programmation.
Plusieurs films dialoguent entre eux autour de ce drame. Mbëkk mi, le souffle de l’océan, de Sophie Bachelier, monte quelques interviews ou récits de vie de femmes sénégalaises. Une mère, une épouse. Toutes vivent en creux l’attente, le deuil, l’exil du côté des femmes, de celles qui restent et qui souffrent. Le dispositif du film, simplissime, permet de se concentrer sur cette parole émouvante et encore peu entendue.
Bien sûr, dans le travail de Michel Zongo, l’exil est aussi en toile de fond. Et même s’il s’agit d’un exil sud-sud, entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, c’est de ce drame et rien d’autre que parle Espoir-Voyage de Michel Zongo. Comme si toute l’Afrique était obsédée par cette folie du départ, cette souffrance de l’exil, ces raisins de la colère. Dans Héros sans visage, la cinéaste Mary Jimenez, produite par les frères Dardennes, aborde le sujet par le regard d’en-face. Dans la première partie de son film, elle découvre la vie des clandestins à Bruxelles, où elle filme leur grève de la faim pour obtenir des papiers. Le film agence des photos d’une manière formellement très originale et bouleversante. Du coup, elle part dans un camp de réfugiés en Lybie, à la rencontre de ces hommes, qui racontent des bribes de leur terrible parcours. Dévoilent des photos de morts au milieu du Sahara. La troisième partie du film renoue pudiquement avec l’intime : un jeune homme africain raconte sa traversée de la méditerranée sur une bouée. A ce film, fait écho un film de Bijan Anquetil, La nuit remue, qui utilise, au coin d’un feu de camp, les films faits par des clandestins au cours de leur exil, ainsi qu’un objet très conceptuel, à forte persistance rétinienne : le court-métrage Manque de preuves de Hayoun Kwon, réalisatrice chinoise aidée par le Fresnoy, qui raconte lui aussi l’exil forcé d’un jeune homme nigérian. On peut citer aussi le travail de Sylvain George (Les éclats – ma gueule, ma révolte, mon nom), tourné à Calais, et même le très poétique Jaurès de Vincent Dieutre, qui relie un amour clandestin à la présence de clandestins Afghans sous sa fenêtre, à la station de métro Jaurès.
Ainsi, ce thème de l’exil clandestin obsède le nord, obsède le sud et donne source de réflexion à des cinéastes dont ce n’est pas l’histoire. On peut dire que ce personnage du Clandestin est donc l’un des traits marquants du programme cette année à Lussas. Peu de films offrent cependant une issue politique au drame actuel. La philosophe Marie-José Mondzain souligne l’importance de la présence des clandestins dans la programmation et tente d’y apporter une réflexion : « Clandestinité, cela veut dire sous-terrain, invisible, anonymat, fuite devant les identifications. Il existe en chacun de nous un désir de clandestinité, la vie intime réclame de la clandestinité. (...) Même les dictateurs ont besoin de l’invisible. Le documentaire se bat pour la dignité de l’invisible. Et pourtant, le clandestin demande aussi le respect. »
Caroline Pochon
Août 2012
Lire Rencontre avec Penda Houzangbe et Jean-gabriel Tregoat
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