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Centre Cinématographique Marocain
Publié le : mardi 10 février 2009
Entretien avec Abdelhatif Laassadi





Cet entre­tien avec Abdelhatif Laassadi, membre du Centre Cinématographique Marocain (CCM) s’est déroulé à Naples (Italie) au cours du fes­ti­val I corti dal mondo. Une mani­fes­ta­tion créée par Carlo Damasco qui pré­sente chaque année une sélec­tion de courts-métra­ges et docu­men­tai­res rea­li­sés dans un pays dif­fé­rent. Les orga­ni­sa­teurs ont choisi le Maroc pour l’édition 2008. Les sujets prin­ci­paux de cet entre­tien tou­chent sur­tout les fonc­tions du CCM dans le pays et plus en géné­ral, l’état actuel du cinéma maro­cain.

Quel rôle a le CCM dans la dif­fu­sion du cinéma maro­cain ?

En pre­mier lieu nous jouons un rôle de sou­tien créa­tif depuis la créa­tion d’un fond en 1980 réservé à la pro­duc­tion natio­nale. Beaucoup de nos meilleurs cinéas­tes ont eu la chance d’étudier dans ce domaine en France bien sûr, mais aussi à Rome comme Suheil Ben Barka ou bien en Pologne : c’est le cas de Mustapha Derkaoui. Vous savez bien qu’une bonne pré­pa­ra­tion est impor­tante mais insuf­fi­sante pour tour­ner un film. Ces der­niers temps le sou­tien annuel du CCM a atteint le chif­fre de 60 mil­lions de Dirhams (envi­ron 5,3 mil­lions d’euros).

Le fond du CCM pour chaque pro­duc­tion est t-il suf­fi­sant pour les frais tota­les du tour­nage d’un film ?

Non bien sûr, mais notre garan­tie ini­tiale peut bien encou­ra­ger les autres inves­tis­seurs privés et publics. Si le cinéma maro­cain est main­te­nant capa­ble de pro­duire une moyenne de douze longs-métra­ges et de soixante courts-métra­ges par an c’est aussi grâce au tra­vail du CCM.

Comme se dérou­lent les acti­vi­tés du CCM ?

C’est un orga­nisme natio­nal qui régule, régi­mente et légi­fère pour le sec­teur. Je vous donne un exem­ple : per­sonne ne peut tour­ner au Maroc sans un permis de tour­nage du CCM. De même, les films maro­cains ont besoin de notre visa d’expor­ta­tion pour une dis­tri­bu­tion à l’étranger. Bref, la régle­men­ta­tion du sec­teur est entiè­re­ment de notre com­pé­tence.

Et en ce qui concerne la pro­mo­tion des oeu­vres pro­dui­tes ?

Dans le cadre natio­nal, le CCM offre son sou­tien annuel au Festival de Tanger. Ici, les spec­ta­teurs ont la chance de voir une sélec­tion de films maro­cains pro­duits pen­dant l’année. Tandis que les prix réser­vés au meilleur réa­li­sa­teur, film, tech­ni­cien, comé­dien ser­vent à sti­mu­ler les pro­fes­sion­nels maro­cains. Dans la même ville nous orga­ni­sons aussi le Festival du Court Métrage Méditerranéen. Le choix du même lieu pour ces deux mani­fes­ta­tions a été tou­jours pro­fi­ta­ble puis­que Tanger est très proche au conti­nent Européen.

Le CCM est aussi membre du cda de la Fondation du Marrakech Film Festival pre­si­dée par Moulay Rachid, frère du roi Mohammed VI. Dans le der­nier cas le Directeur de notre orga­nisme est chargé de la pro­gram­ma­tion du MFF.

Mr. Laassadi quel­les sont les dif­fé­ren­ces entre Tanger et Marrakech ?

Le MFF est un show­case privé où l’on pro­gramme sur­tout des films inter­na­tio­naux avec pour but d’encou­ra­ger les inves­tis­seurs étrangers à tour­ner leurs pro­pres pro­duc­tions au Maroc. La qua­lité de la lumière natu­relle, des faci­li­tés et des tech­ni­ciens maro­cains sont sûre­ment des éléments attrac­tifs pour les grands pro­duc­teurs.

Par contre, le FdT est une mani­fes­tion pour nous. Un abri cultu­rel pour nos met­teurs en scène qui ont la chance de faire connaî­tre leurs films natio­na­le­ment au cours des six mois qui s’écoulent entre le FdT en décem­bre et le Festival du Court Métrage Méditerranéen réservé aux plus jeunes en juin. Depuis quel­ques temps le FdT a repris sa pro­gram­ma­tion annuelle comme à son début en 1982. Et celà temoi­gne que le volume moyen de pro­duc­tion de films est en hausse.

Plus géné­ra­le­ment, notre pré­sence s’étend dans le cir­cuit fes­ti­va­lier natio­nal. Le CCM par exem­ple, contri­bue aussi à l’orga­ni­sa­tion du Festival du cinéma afri­cain de Khouribga, une pro­vince minière connue pour l’extrac­tion de phos­phate située au sud du Maroc. En revan­che, cette mani­fes­ta­tion est ouverte aussi à toutes les pro­duc­tions de l’Afrique Noire et du Maghreb.

Est-ce que le CCM sou­tient aussi la pro­mo­tion du cinéma maro­cain à l’étranger ?

Notre rôle est inter­mé­diaire. Si un fes­ti­val inter­na­tio­nal consa­cre une sec­tion au cinéma maro­cain, nous ferons de notre mieux en contac­tant les réa­li­sa­teurs à l’etran­ger pour faci­li­ter leur pré­sence dans ces mani­fes­ta­tions. De même, avec l’auto­ri­sa­tion des met­teurs en scène, nous pou­vons envoyer les copies de leurs oeu­vres aux fes­ti­vals inter­na­tio­naux. Alors que nous sommes tou­jours pré­sents avec un stand à Cannes, auquel s’appuie par­fois le MFF, ce der­nier conti­nue d’avoir une visi­bi­lité majeure à l’étranger.

Avez-vous formé des accords de par­te­na­riat avec les autres pays du Maghreb ?

Nous avons établi des rela­tions dura­bles dans le domaine de la copro­duc­tion avec toute l’indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que arabe. Par exem­ple avec la Tunisie, les accords concer­nent autant les réa­li­sa­tions de films avec des pro­duc­tions pri­vées maro­cai­nes, que la four­ni­ture de ser­vi­ces pro­fes­sion­nels pour les films tuni­siens. Parfois nous man­quons d’ingé­nieurs du son ou de direc­teurs d’images. Dans ce cas, nous sommes très heu­reux de tra­vailler avec des cadres algé­riens et tuni­siens.

Il faut dire aussi que les pro­duc­tions afri­cai­nes confient une part de la post-pro­duc­tion et le tirage des copies aux labo­ra­toi­res du CCM. Les der­niers exploits inter­na­tio­naux du cinéma afri­cain comme Moolaadé (2003) de Sembene Ousmane et Making off (2006) de Nouri Bouzid sont aussi passés par nos ate­liers.

Qu’est ce qui a changé dans l’indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que maro­caine depuis la fin du colo­nia­lisme ?

C’était encore la période du pro­tec­to­rat fran­çais mais nous avions déjà établi les stu­dios Souissi à Rabat en 1944. Cette date est aussi celle de la créa­tion du CCM. A cette époque-là, la plu­part des tech­ni­ciens étaient fran­çais, tandis que les met­teurs en scène maro­cains étaient employés seu­le­ment dans la réa­li­sa­tion de courts métra­ges ins­ti­tu­tion­nels. Avec l’indé­pen­dance du pays nous avons affronté le départ des tech­ni­ciens fran­çais qui sont retour­nés chez eux. Cela a obligé le gou­ver­ne­ment à former ses pro­pres cadres à l’étranger, ce qui expli­que l’exode massif des cinéas­tes maro­cains de pre­mière géné­ra­tion depuis le début des années soixante.

Quel résul­tat concret a obtenu le CCM pen­dant la direc­tion de Ben Barka ?

Il a changé la for­mule des sou­tiens en offrant aussi des fonds de post-pro­duc­tion sur le tour­nage. Il était vrai­ment capa­ble d’encou­ra­ger les inves­tis­seurs privés. Le nombre de stu­dios dans le pays a aug­menté visi­ble­ment pen­dant son mandat qui est ter­miné sym­bo­li­que­ment avec la cons­truc­tion des pre­miè­res salles mul­ti­plex dans le pays. S. Ben Barka était tout d’abord un cinéaste-pro­duc­teur, tandis que le direc­teur actuel, Noureddine Sail a une for­ma­tion en res­sour­ces humai­nes. Mais les points fai­bles du cinéma maro­cain n’ont pas changé : le nombre de salles dans le pays est insuf­fi­sant pour la moyenne annuelle de longs métra­ges réa­li­sés au Maroc. De plus, la dis­tri­bu­tion ter­ri­to­riale des ciné­mas est iné­gale : pres­que toutes les salles sont situées dans les grande villes comme Rabat, Casablanca et Marrakech.

Quelle influence a eu la cen­sure dans la dif­fu­sion de la culture ciné­ma­to­gra­phi­que au Maroc ?

Le pro­tec­to­rat avait aus­si­tôt établi une com­mis­sion de cen­sure. Pendant les années soixante-dix, cet orga­nisme ayant sur­vécu à l’indé­pen­dance, s’occu­pait sur­tout de contrô­ler la dis­tri­bu­tion des films étrangers puis­que la pro­duc­tion natio­nale était encore faible. A pré­sent, la situa­tion est très dif­fé­rente. Par exem­ple Ben Barka a défié les cen­seurs du monde arabe en mon­trant au public du Festival de Tetouan, Al-Masīr (1997) un film de Youssef Chahine inter­dit pres­que dans tous les pays de la région. Le même S. Ben Barka était ému devant un public maro­cain quand Nourredine Sail a auto­risé une séance publi­que de son oeuvre La guerre du petrole n’aura pas lieu inter­dite en decem­bre 1975.

Propos recueillis par Giuseppe Sedia 11 octo­bre 2008, Naples (Italie)

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