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Interview de Cheick Fantamady Camara
Publié le : mardi 15 avril 2008
Avril 2008

La repré­sen­ta­tion que don­nent les médias sur l’Afrique est sou­vent néga­tive. Est-ce que tu comp­tes t’empa­rer du cinéma pour mon­trer un autre visage du conti­nent ?

Oui bien sûr. Le gros pro­blème c’est que les diri­geants afri­cains ont confié l’image du conti­nent à l’occi­dent. C’est comme si je disais « tiens je te laisse t’occu­per de ma dignité, ma per­son­na­lité, mon « MOI ». ». Ignorance, aban­don ou démis­sion ? La ques­tion reste posée c’est grave. Je disais au fes­ti­val Diverciné à Ottawa récem­ment, (j’étais devant un par­terre d’ambas­sa­deurs y com­pris afri­cains avant la pro­jec­tion) que l’on ne peut pas confier éternellement son image à d’autres per­son­nes. Il est temps que les afri­cains se la réap­pro­prient. L’Afrique ne véhi­cule pas elle-même son image. Elle est repré­sen­tée sous la coupe de tout ce qui est néga­tif.

Est-ce que le cinéma peut amener une cons­cience en bous­cu­lant les idées reçues ?

On dit que le cinéma ne peut pas chan­ger le monde mais il aide à réflé­chir. La mau­vaise image donnée à l’Afrique n’est pas la res­pon­sa­bi­lité que de l’occi­dent, aujourd’hui. Des afri­cains aussi jouent le jeu de l’occi­dent. Cela se voit à tra­vers : com­ment filmer et parler de l’Afrique ? C’est de la faute à tous les médias. Même le mal­heur peut être pré­senté avec une cer­taine dignité. Il y a le mal­heur par­tout. Je vois ici en France des pères de famille qui se nour­ris­sent dans les pou­bel­les. Je disais à Ottawa que chez nous, en Afrique, je n’ai jamais vu quelqu’un qui n’est pas fou, manger dans une pou­belle. L’image de l’Afrique est véhi­cu­lée de manière à faire peur. Il y en a même qui ont peur de venir en Afrique. Tout est néga­tif. Ceux qui vien­nent en Afrique sont même déçus ou sur­pris de la décou­vrir contrai­re­ment aux idées reçues. A mon avis, main­te­nir l’Afrique dans des images comme ça, est un moyen, un argu­ment pour tou­jours rester dans le conti­nent et le piller. C’est aussi une source finan­cière pour ceux qui pré­ten­dent aider depuis des siè­cles.

Comment la super­sti­tion et la reli­gion, ancrées dans les valeurs tra­di­tion­nel­les afri­cai­nes peu­vent-elle évoluer ?

A mon avis, il faut la sen­si­bi­li­sa­tion, encore une fois, inter­pel­la­tion des médias et artis­tes afri­cains. Aider les popu­la­tions à com­pren­dre que la super­sti­tion et la reli­gion sont l’arme des igno­rants, des fata­lis­tes. Que ces deux enti­tés, reli­gion et super­sti­tion, peu­vent être le repère cultu­rel et spi­ri­tuel des peu­ples mais, pas, une raison de vivre comme nous le cons­ta­tons dans des pays en Afrique. La redé­fi­ni­tion de la notion de Dieu, serait très impor­tante pour le peuple afri­cain. Ce tra­vail doit être fait par la nou­velle géné­ra­tion. La nou­velle géné­ra­tion de médias qui, à un cer­tain moment doit dire non à cer­tai­nes choses. En même temps, même si la nou­velle géné­ra­tion de média et d’artiste veut rec­ti­fier le tire, s’il n y a pas de vraie poli­ti­que der­rière le métier, les autres res­te­ront tou­jours puis­sants et domi­nants. Encore, la ques­tion de sa propre image…

Aussi, il y a un pro­blème fon­da­men­tal : la ques­tion d’iden­tité de l’Afrique noire. Depuis 500 ans, son iden­tité est en désé­qui­li­bre spi­ri­tuelle car rien n’est propre à elle. Elle est blo­quée depuis cinq siè­cles par toutes ces spi­ri­tua­li­tés qui se sont gref­fées à elle. On ne sait même plus où sont nos pro­pres spi­ri­tua­li­tés qui sont les pri­vi­lè­ges de la pla­nète. A nous de redo­rer cela en les pré­sen­tant autre­ment.

Si « Il va pleu­voir sur Conakry » est popu­laire, c’est parce que les gens décou­vrent une autre Afrique. Ils décou­vrent un choix, un projet qui permet de redo­rer leur propre iden­tité. Je ne dis pas que je n’ai pas été du coté des mara­bou­ta­ges, j’étais ado­les­cent je ne com­pre­nais rien mais à partir du moment où j’ai été à l’école, je me suis mis en tête qu’il y avait quel­que chose qui clo­chait quel­que part. Je n’ai pas envie de suivre la même vague. J’ai envie de pré­sen­ter l’Afrique autre­ment, même dans le mal­heur mais avec dignité. La res­pon­sa­bi­lité est aux états, aux men­ta­li­tés, et au peuple, tous ensem­ble.

La reli­gion et les mara­bouts sont aussi liés et très pré­sents dans la sphère poli­ti­que. Il faut encore plus de temps pour réveiller les poli­ti­ques…

Tu sais, chez nous il y a un truc drôle qui dit : « rien n’est plus dif­fi­cile que de réveiller quelqu’un qui ne dort pas ! » ce n’est pas pos­si­ble, il ne va jamais se réveiller car il ne dort pas de toutes façons. C’est donc une nou­velle source pour les poli­ti­ques qui aiment à se main­te­nir au pou­voir. J’ai entendu dans un chant d’Alpha Blondy qui dit « ces roi­te­lets qui veu­lent entrer dans l’his­toire par la petite porte… ». Ce sont tous ces der­niers bas­tions de dic­ta­teurs qui sont dans le conti­nent mais ils se ver­ront rat­tra­per par l’his­toire un jour, mort ou vivant. S’ils échappent au procès de l’huma­nité, ils n’échapperont jamais à celui de l’his­toire.

Optimiste, il ne faut pas oublier que l’Afrique bouge. On ne le sent pas car nous sommes tou­jours cou­verts par ces mau­vais médias qui pré­sen­tent notre conti­nent autre­ment.

Les gens chan­gent de men­ta­lité, à mon avis, le cinéma doit y contri­buer for­te­ment. Il faut que les afri­cains s’appro­prient eux-mêmes leur cinéma. Il y a aussi tout le sec­teur de l’art ; les musi­ciens sont très actifs, le théâ­tre et l’écriture aussi.

Le cinéma sera t-il aussi bien repré­senté que la musi­que inter­na­tio­na­le­ment ?

La réponse c’est que c’est tou­jours des pro­blè­mes finan­ciers. Je crois que nous, afri­cains, devrions nous empa­rer de la vidéo. L’orgueil mal placé fini tou­jours par s’écrouler. Je ne suis pas très friand de la pel­li­cule car cela coûte cher. La qua­lité est irré­pro­cha­ble mais le cinéma doit éclater avec la vidéo. Le pro­blème est que ce n’est pas cadré ; manque de for­ma­tion chez les jeunes pour écrire des his­toi­res consis­tan­tes et faire des films plus pro­fes­sion­nels. On voit le Nigeria qui a explosé mais la qua­lité du pro­duit reste à défi­nir. Cela a com­mencé à bouger, on le voit.

Tu t’affran­chis en géné­ral des spé­ci­fi­ci­tés tech­ni­ques liées au numé­ri­que pour te concen­trer à l’écriture. Qu’est ce que tu as eu envie de dire la pre­mière fois et est ce que tu as eu l’occa­sion de l’expri­mer dans tes films ?

Je crois que j’ai eu dans ma tête l’occa­sion de sortir beau­coup de stress par rap­port à moi-même. Pas moi Cheick mais en tant que Noir. J’ai fait deux ans de tra­vail soli­taire intense au Burkina Faso, avant de réus­sir à sortir de ma prison spi­ri­tuelle. Je n’osais même pas en parler à quelqu’un. J’étais enfermé dans deux spi­ri­tua­li­tés : l’Islam et le Christianisme. J’ai refusé cela. Pour dire non à ces 2 reli­gions, cela m’a prit deux ans. Quand j’ai réussi ma mis­sion je me suis senti tel­le­ment heu­reux, tel­le­ment en har­mo­nie avec moi-même. J’ai repris contact avec ma vraie iden­tité. Tout se joue dans la tête. Depuis je suis fier de regar­der une peau blan­che en face et dire que je suis ani­miste, ani­misme posi­tif, la pre­mière spi­ri­tua­lité de la pla­nète. Je ne suis ni musul­man, ni chré­tien, je ne suis pas contre eux, mais je me sens dif­fé­rent d’eux. L’HOMME peut tout par­ta­ger sauf son iden­tité. A la suite de ça je te jure, c’est une des sour­ces d’ins­pi­ra­tion de mon film. Il a beau­coup de lec­ture mais l’une des sour­ces de ce scé­na­rio vient de là : ma liberté. J’ai peut être pas réussi à le dire à cent pour cent, mais, c’est ce que je pen­sais dire aussi. Le reste c’est autre chose.

La liberté de parole est un mes­sage d’espoir ?

J’ai tou­jours mon regard sur l’Afrique et je cri­ti­que ma société. C’est ce qui fait avan­cer une société. On le voit en occi­dent. Mais je n’aime pas pré­sen­ter tout cela dans un climat de misère et d’obs­cu­ran­tisme.

L’Afrique est belle, c’est une belle popu­la­tion comme tous les gens du monde. Nous avons été vic­ti­mes de l’his­toire mais, on ne va pas vivre de ça toute la vie. On a vu des socié­tés qui ont été tor­tu­rées, humi­liées dans le monde et qui se sont redres­sées. Quand le soleil est venu, ils ont redo­rés leur iden­tité et sont deve­nus forts, res­pec­tés, pour­quoi pas l’Afrique ?

Propos recueillis par B. Tiprez

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