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Perdu dans les métaphores
Publié le : mercredi 29 octobre 2008
Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche


Dernier maquis, c’est une pro­messe qui déçoit. Le film annonce d’emblée la cou­leur : le rouge, celui de la colère, celui de la révo­lu­tion, mais c’est aussi un film avec beau­coup de vert, celui de l’islam, celui de la nature luxu­riante qui voi­sine avec le monde indus­triel dans une région fran­çaise. Dès les pre­miè­res séquen­ces, une écriture fil­mi­que sûre de ses images et de ses partis pris impose son élégance, sa pro­fon­deur, son rythme. Le réa­lisme social rejoint la contem­pla­tion. On se croi­rait au début d’un film de Ken Loach, où l’on va nous parler sans fards des ouvriers, ici, des ouvriers immi­grés. C’est l’his­toire de l’ouver­ture d’une mos­quée par le patron d’un gros garage, en France.

Nous entrons dans un film qui parle du monde du tra­vail, avec rudesse, viri­lité. Il n’y a pas de femme dans ce film et les hommes sont mon­trés sur leur lieu de tra­vail, pas à la maison. Le choix est fort et assumé.

Est-ce une comé­die, comme peut le lais­ser croire les pre­miè­res séquen­ces, où l’on assiste aux mésa­ven­tu­res spi­ri­tuel­les d’un jeune converti naïf, qui inter­roge d’abord un vieil ouvrier lettré du Coran (qui s’avè­rera être l’Imam choisi par le patron) sur les condi­tions pour deve­nir... un Imam. Pas vrai­ment. Car l’his­toire de la mos­quée est filmée avec beau­coup de sérieux et la piste de la comé­die est très vite aban­don­née, la mos­quée n’occu­pant pas toute la nar­ra­tion. Dès ce moment, l’enjeu du récit est perdu et l’on com­prend que le scé­na­rio pêche par sa fra­gi­lité et les hési­ta­tions de ses inten­tions.

De tous ces beaux per­son­na­ges campés dès les pre­miè­res séquen­ces, ouvriers beurs, algé­riens ou maliens, aucun ne par­vient vrai­ment à deve­nir un per­son­nage de cinéma. Le per­son­nage le plus inté­res­sant est celui qui se révèle pro­gres­si­ve­ment comme le vrai pro­ta­go­niste : le patron du garage. Joué avec finesse par Rabah Ameur-Zaïmeche lui-même (qui met ici en abyme son rôle de réa­li­sa­teur), il est campé dans ses contra­dic­tions. C’est mal­heu­reu­se­ment le seul per­son­nage qui s’offre le luxe d’avoir une com­plexité. Musulman, c’est lui qui finance l’ouver­ture d’une mos­quée, dans le but assumé de mieux contrô­ler ses équipes, comme il le dit à l’imam dans une séquence très frap­pante de fran­chise. Il est montré à plu­sieurs repri­ses comme celui qui exploite, notam­ment lors des négo­cia­tions sur les salai­res. C’est en même temps celui qui annonce la fer­me­ture de l’entre­prise aux équipes et qui va se heur­ter à une grève qui finira mal pour sa per­sonne. Par ailleurs, il aime la nature, les ani­maux, il a sou­rire sympa, il est jeune.

C’est un film qui se défie de toute psy­cho­lo­gie et les événements pei­nent à s’enchaî­ner pour former un vrai récit. On oublie la mos­quée au bout d’une demi-heure. Celui que l’on pre­nait pour le per­son­nage prin­ci­pal (qui aurait très bien pu être un anti-héros de comé­die), le jeune converti qui se taillade le sexe en vou­lant s’auto-cir­concire (...), dis­pa­raît assez vite de la nar­ra­tion sans que la pro­blé­ma­ti­que de son per­son­nage soit pous­sée au bout, qu’il ait une chance d’évoluer. La fer­me­ture de l’entre­prise est à peine pré­pa­rée : elle tombe comme un deus ex machina. On y croit à peine. Enfin, la der­nière partie du film peine à faire exis­ter la grève, le mou­ve­ment social. On sent ici la dif­fi­culté de se cons­ti­tuer en col­lec­tif. Elle est bien ana­ly­sée, mais sans donner une chance à la situa­tion de nous sur­pren­dre, d’évoluer. On voit assez vite deux grou­pes se cons­ti­tuer : les manoeu­vres, essen­tiel­le­ment d’Afrique Noire, ne veu­lent pas faire grève, tandis que les méca­nos, pour la plu­part des fran­çais d’ori­gine magh­ré­bine, exac­te­ment comme le patron, déci­dent de lutter. Ils le font de manière mala­droite. Le conflit semble expé­dié en peu de temps et ter­mine dans la vio­lence. La fin tourne court.

Et puis... on a envie de s’inter­ro­ger sur l’incur­sion d’un gros rat au milieu du film. Il est décou­vert dans une fosse au milieu du garage par les méca­nos, qui pren­nent peur, jouent avec lui et appelle le patron qui leur dit que ce n’est pas un "rat" ni un "raton laveur" amé­ri­cain mais un "ragon­din". Il trouve qu’il a un beau poil et expli­que que c’est pour cela qu’on les importe en France. Passons sur la méta­phore sug­gé­rée, le rat, énorme, prend un moment une impor­tance plus qu’anec­do­ti­que. L’un des ouvriers se charge ensuite de le rame­ner dans la nature. On ne voit pas sa cap­ture dans le film. Mais on se demande ce qu’apporte l’his­toire du rat à toute cette his­toire.

Tous les éléments d’un bon film social sont pour­tant là : l’aspect visuel, la pré­sence d’un vrai uni­vers (on sent que le réa­li­sa­teur sait de quoi il parle), l’amorce de beaux per­son­na­ges, mal­heu­reu­se­ment pas assez assu­més comme véri­ta­bles per­son­na­ges. Mais on ne va pas au bout des pro­mes­ses posées, essen­tiel­le­ment parce que le scé­na­rio n’est pas abouti et se contente de jux­ta­po­ser des situa­tions, pas de nous emme­ner dans une véri­ta­ble his­toire. Ainsi, l’émotion n’est pas assez pré­sente, le spec­ta­teur se sent un peu perdu. Perdu dans les méta­pho­res.

Caroline Pochon
Octobre 2008

Fiche du film Dernier maquis

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