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Sénégal expérimental
Publié le : vendredi 30 janvier 2009
De la vie des enfants au XXIème siècle. Un film de Babacar Sow, Sénégal, 2000, 57’

La créa­tion ciné­ma­to­gra­phi­que séné­ga­laise ne m’avait pas livré tous ses tré­sors. Parmi d’autres chefs d’oeuvre, docu­men­tai­res de créa­tion ou films expé­ri­men­taux pro­posé par la rétros­pec­tive "Les films culte de la Lucarne" (rétros­pec­tive au Jeu de Paume du 17 avril au 8 mai 2007), le cata­lo­gue pré­sente ce film comme "un film mani­feste sur la condi­tion des enfants des rues de Dakar. Hypnotique et sans conces­sions".

La caméra filme les enfants, ces "tali­bés" que ceux qui connais­sent cette ville ont vu errer, men­dier, pleu­rer, sou­vent pieds nus dans les rues sales.

Une bande son ryth­mée par une musi­que contem­po­raine, et clas­si­que à la fin nous plonge dans l’abîme de la contem­pla­tion. La caméra, en noir et blanc, aus­tère et vibrante, traque d’abord un regard, un geste, un sou­rire, un dos, un pied, une main qui se crispe dans le som­meil intran­quille des enfants des rues, ensem­ble, les corps pres­que enla­cés les uns aux autres, à même le sol.

Le film est ponc­tué par cette unique inter­ro­ga­tion lan­ci­nante, har­ce­leuse, bou­le­ver­sante : "com­ment vont les enfants ?".

La caméra filme aussi la vio­lence du serign qui, armé d’un mar­ti­net, frappe l’un des enfants des rues. Mais la caméra nous entraîne plus loin encore. Elle nous laisse pren­dre un étrange plai­sir esthé­ti­que, un plai­sir très paso­li­nien, à voir la fraî­cheur d’un sou­rire, le regard canaille, le regard inno­cent, la grâce d’un ado­les­cent qui se dénude. Ces regards nous appel­lent, nous fas­ci­nent, nous hyp­no­ti­sent. Dernière étape de cette des­cente aux enfers, la caméra nous révèle l’omni­pré­sence de la drogue, le "gainz", que les enfants snif­fent à lon­gueur de jour­née. L’émotion confine à l’insou­te­na­ble. On reste long­temps sur le regard fas­ciné de l’un d’entre eux. Et tou­jours, le son nous éloigne de ce réel trans­fi­guré, nous plonge dans l’abs­trac­tion.

Tout est dit sans mot inu­tile. C’est un choc esthé­ti­que et émotionnel. Beaucoup de gens quit­tent la salle devant l’insou­te­na­ble. Je reste, éblouie par cette capa­cité à "faire du beau avec du laid" comme disait Beaudelaire. Ce film, signé La Fabrik à Dakar, doit plus à l’art contem­po­rain qu’au cinéma tra­di­tion­nel : c’est là une filière de créa­tion féconde, qui ne vient pas jusqu’aux portes du Fespaco, mais dénonce avec puis­sance un pro­blème de société, tout en assu­mant un parti pris radi­cal de nar­ra­tion.

Caroline Pochon (Clap Noir)

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