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Au nom de la nature
Publié le : mardi 29 septembre 2015
Jikoo, la Chose Espérée de Christophe Leroy et Adrien Camus

Le delta du Saloun au Sénégal classé réserve de biosphère, puis zone humide d’importance nationale, s’est finalement retrouvé Patrimoine Mondial de l’Humanité, avec création d’un parc national à l’appui. Bouleversement radical pour le villages du delta. Les bruits courent que les projets seraient financés par des organismes mondiaux, que l’argent déversé n’arriverait jamais jusqu’à la base. C’est dans ce contexte que Christophe Leroy et Adrien Camus installent leur caméra et suivent au plus près les préoccupations des agriculteurs, toujours plus pauvres, car ils ne peuvent, désormais, vivre de leur travail.
La faute aux phacochères qui, de sauvages et craignant les hommes sont devenus familiers depuis que les écogardes les nourrissent et les protègent. Ils détruisent les champs d’arachides qui assuraient un revenu minimum aux paysans. « Pas grave répondent les chefs du parc, bientôt vous vivrez du tourisme », « mais nous ne voulons pas courir après les blancs.. », protestent les villageois.
Contre l’ennemi, le porc sauvage et vorace il y aurait bien des solutions : les pièges ou un bon coup de fusil, mais c’est interdit, et des grillages, mais c’est cher. Tout tourne autour de cette demande aux autorités : du grillage pour protéger leurs cultures, assurer leur survie. Et le chef du village mandaté par la communauté ira par deux fois demander au colonel responsable du parc de prendre en compte sa requête sans jamais y parvenir. De ses tentatives, on n’en verra que de l’attente et les salamalecs d’usage. Preuve que cet espoir n’a jamais existé . « La Chose Espérée » est l’histoire d’un rendez vous manqué.

Il aura fallu six ans aux deux réalisateurs pour rendre compte en images de la lente dérive de cette communauté soumise à une précarité qui s’aggrave. Six ans de longs séjours au village, se faire accepter, apprendre la langue, partager le quotidien, témoigner de leur loyauté... Ces deux bordelais arrivés en Mauritanie au volant de tacots à livrer à Nouakchott, n’ont, en fait, jamais quitté le continent africain, tournant le dos au cursus que leurs études supérieures leur promettaient. Fondus dans le paysage, de préférence sénégalais, ils le parcourent au gré du vent et des rencontres.
Attentifs et libres il se saisissent d’une caméra pour mieux conter et ont créé leur propre maison de production de documentaires, La Troisième Porte à Gauche, leur devise : filmer le vif dans l’épaisseur du temps. Leurs films sont de petites graines de liberté. De celles qui peuvent un jour pousser haut.
Et c’est ainsi que nous suivons, tout au long de Jikoo, les pensées qui agitent Souadou tandis qu’il se déplace des champs au village, à travers sa belle nature confisquée. Il parle, il compte, il fait des projets, tel Perrette : « si je gagne 50000frs, avec la chaux j’achèterai des semences d’arachide, et je pourrai acheter le bois de charpente pour finir la maison, mais l’argent de la chaux ne suffit pas , si nous trouvions des grillages nous aurions de beaux champs, si on me prêtait 2 millions sur 5 ans je pourrais rembourser...il vaut mieux planter du mil que du riz, mais ils doivent nous aider... » tandis qu’il va prendre son tour de garde sur le mirador, que les enfants chassent les oiseaux et parfois les font rôtir et que, malgré les guetteurs, les phacochères continuent leur œuvre destructrice. « On travaille pour rien , aucune loi ne dit que les animaux doivent vivre aux dépens des populations » « Nous voulons vivre de la terre, c’est notre culture », comme un disque rayé, encore et toujours et le chef du village tristement bredouille : « J’ai appris que le parc n’était pas là pour nous ».
Scène surréaliste, celle où le colonel sermonne ses fraîches troupes d’écogardes avant la distribution des uniformes : « Le monde se divise en deux catégories, les leaders et ceux qui tendent la main, et maintenant dans quelle catégorie êtes vous ? ». Et de leur insuffler la fierté d’une fonction (bien mal définie) qui les élève au dessus des paysans. Pleurer de rire, pour ne pas pleurer !

C’est la patte de ces deux réalisateurs, filmer au plus près, sans effet de manches, sans commentaires, la seule voix off, celle de Souleyman, en boucle. Si familiers avec leurs personnages, après toutes ces années, qu’après avoir recueilli leurs témoignages les plus secrets, ils n’osent plus les rendre publics, par peur des représailles pour le village...Dénoncer une situation, est-ce toujours rendre service ? Personne au Sénégal n’a vu le film, même pas les villageois qui se sont confiés après de longues hésitations.. L’équipe de la Troisième Porte à Gauche repart au Sénégal, un film à finir, un autre en mettre en route...et des réponses à surveiller du côté du Parc National ... Affaire à suivre

Michèle Solle
Gindou 2015

Jikoo, La Chose Espérée, documentaire, 2014, 52’
Production : La Troisième Porte à Gauche (Bordeaux, France)
Contact : contact chez troisiemeporteagauche.com

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